ami-ami (2) image, partage

Je continue ici la réflexion sur le chapitre sur l’amitié dans le livre de Milad Doueihi. En essayant de résumer la première section intitulée « Matérialité de l’amitié », je ne trouvais rien à contredire et acquiesçais à toutes les phrases. Par contre, j’ai trouvé utile de contraster certaines phrases de Doueihi avec celles d’autres auteurs tout en commentant les sections suivantes.

Doueihi: La culture numérique s’approprie l’amitié à sa manière. C’est non seulement une réalité technique, mais aussi une réalité culturelle. […] L’amitié traditionnelle est restreinte : c’est une affaire entre un petit nombre d’individus. Dans un monde numérique, cette dimension restreinte n’est pas acceptable : le système est conçu pour s’étendre et élargir la relation d’amitié à tout réseau. L’échelle globale et uniforme du réseau transforme la relation intime en un spectacle public.

Doueihi: Le web 2.0 a transformé le réseau en un lieu ou en une demeure de l’image. C’est comme si la sociabilité numérique requérait une fonctionnalité de l’image aux dépens du discours, de la parole et du texte.

Guy Debord dans sa critique du capitalisme intitulée La société du spectacle:

thèse 4: « Le spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images »

thèse 18 : « Là où le monde réel se change en simples images, les simples images deviennent des êtres réels, et les motivations efficientes d’un comportement hypnotique. Le spectacle, comme tendance à faire voir par différentes médiations spécialisées le monde qui n’est plus directement saisissable, trouve normalement dans la vue le sens humain privilégié qui fut à d’autres époques le toucher ; le sens le plus abstrait, et le plus mystifiable, correspond à l’abstraction généralisée de la société actuelle. » semble avoir été prophétique quant à l’évolution du système économique en réseau social.

 

Selon Aristote et sa thèse sur l’amitié dans l’éthique à Nicomaque, l’amitié est inséparable de la vertu et est un sentiment exclusivement réservé aux humains (peut-on alors « aimer » la page Facebook d’une entreprise ?). Pour Aristote, l’amitié crée la communauté (jusqu’ici ça va avec le numérique) et se reconnait par un partage de sentiments et non de croyances. Ainsi on pourrait être ami avec des gens qui ont des opinions opposées aux nôtres.

Face à Aristote, Doueihi demande « Faut-il voir dans la sociabilité numérique l’émergence d’une nouvelle économie, avec ses propres conceptions de la propriété, ou bien une sorte de perversion de l’idéal de l’amitié au profit d’une exploitation financière du partage ? » Ce partage gratuit a en effet comme antithèse à la « communauté du réseau social » qui, rappelons-le, appartient à une des compagnies privées les plus riches de la planète. Cette antithèse est une économie du don, bien décrite dans cet essai de Marcel Mauss pour lequel la vie « économique » dans l’économie du don n’est pas motivée par un contrat qui veut échanger un bien pour un autre d’une valeur équivalente, mais par une « obligation de générosité », et mis en pratique ici et là de nos jours.

Autres courtes réflexions

Le réseau social abhorre la solitude. Y a-t-il un lien avec la dépendance au numérique ?

Doueihi décrit aussi les applications du toucher (on peut toucher deux portables pour échanger des liens). Le téléphone intelligent devient élément technologique du corps et le corps devient aussi une extension du réseau social. On est l’époque des cyborg. Se retrouver sans wi-fi serait-il proche de l’amputation?

Retour à Aristote…

Doueihi: Les thèses d’Aristote reposent aussi sur la dimension absolument volontaire de l’amitié. Cette relation ne peut être imposée ni obligatoire, elle procède d’un choix essentiel et déterminant et d’une réciprocité libre.  Doueihi contraste ceci avec l’exemple Facebook. Le choix d’entrer et de participer est certes libre, mais le départ ne l’est point. Cette pratique pervertit l’aspect volontaire de la sociabilité numérique. […] Ce qui est offert et partagé n’appartient plus simplement à celui qui a initié l’échange, mais fait désormais partie de la sphère publique du réseau social.

[à suivre]

 

2 réflexions sur “ami-ami (2) image, partage

  1. intéressant qu’alors que je publie ce blogue un samedi soir 12 mars à 22:35, la date de création s’affiche comme 13 mars. Est-ce que WordPress en français résiderait donc en Europe, où à Terre-Neuve, où il est déjà minuit et cinq? qui, déjà parlait du temps dans les réseaux sociaux?

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